LE COSMOPOLITISME DES CHEFS

Fév 17, 2014 | 0 commentaires

  1. Alors que Thomas Hobbes rédige le Léviathan dans son domicile Parisien, les Traités de Westphalie donnent naissance à un état de nature international. L’État est consacré comme la forme politique dominante, et la souveraineté est érigé en sacrosainte norme justifiant l’inviolabilité des édifices politiques internes. Ainsi s’achèvent la guerre de trente ans et des conflits nourris par les superpositions de volontés hégémoniques, mélangeant universalismes papaux et empiriques et résistances religieuses et protonationales. Quatre siècles plus tard, les fondamentaux de ce système anarchique demeurent. Les États restent autant de Léviathans sur la scène internationale et la charte de l’ONU oblige au respect absolu de la souveraineté nationale. Ici ou là, une brèche. La responsabilité de protéger, qui n’a pas valeur de norme. La capacité du Conseil de sécurité à outrepasser ces limites pour cause d’atteinte à la sécurité du système. Les exceptions valident la règle. Pourtant, depuis cinquante ans, un rêve cosmopolitique qui rejailli. L’espoir de la fin de la guerre, et donc de la dépolitisation de l’espace international. L’espoir aussi de la fin des massacres.Et donc d’un interventionnisme qui mettrait de facto fin à cette immunité nationale dont bénéficient les États… et leurs dirigeants. Pression populaire. Pression de la société civile. Les peoples exigent. Les souverains tremblent.

La justice universelle incarne parfaitement ce rêve. Des juges nationaux qui peuvent poursuivre n’importe quel criminel de masse dans le monde. Au Nom de quoi ? De l’humanité. Rien que ça. Beaucoup ont espéré qu’il en irait de même de la Cour pénale internationale. Créée en 2002, ayant  Compétence sur 123 pays, pouvant poursuivre sans regard aux immunités et proprio mutu – de son propre chef ! – quiconque se rende responsible d’atrocités (crimes de guerre, crimes contre l’humanité, crimes de génocide). Une justice supra-éta-négasouveraine. Un mensonge. La Cour pénale internationale n’est pas une creation kantienne. Malgré ses vocations permanentes de l’essence humaine pour justifier ses inculpations  comment pourraitelle le faire autrement, elle qui détient ce « droit de punir » qui ne peut exister qu’en société, alors même qu’elle n’est issue d’aucune société pré-constituée ? Nous le verrons. On serait bien en peine de justifier anthropologiquement ce postulat absurde – ce postulat qui ferait des massacres des actes allant à l’encontre de la nature humaine. L’histoire ne montre-t-elle pas que la violence est au contraire constitutive de tout état de société, voire est sa caractéristique constitutive ? A-t-on constance de génocides, de crimes de masse, dans l’autre monde, le monde animal ? La Cour pénale internationale est une création néohobbesienne. Un monstrum puffendorfien allant à l’encontre de la nature humaine. Une civilisation. Au nom des chefs. Le XXe siècle a montré les limites du système de sécurité westphalien. Conçu par et pour une quinzaine de souverains, culturellement proches, issus des mêmes familles et regnant sur un espace géographique défini : l’Europe. Un espace de jeu entre hommes civilisés, qui savent se limiter, pensait-on. Deux siècles. Les paramètres changent. Les idées restent. Révolutions industrielles et communicationelles successives. Création des outils de massacres à grande échelle. Resserrement des espaces. Révolutions politiques. Création de cet objet politique étrange – la nation. Conscription. Masses. Avancées glorifiées. Arrière et Front. Frontarrière. Populations civiles, hommes en armes. Populations armées. Guerres. To. Ta. Les. 100 milions de morts. Décolonisations. 200 États. Autant de chefs. Espaces sans États. Absence de communauté. Mondialisation des Élites. Appauvrissement des sociétés. Décolonisation. Désétatisation. Vacillement. Questions. L’État pourra-t-il maintenir sa suprématie comme forme politique dominante, alors qu’ici il est rejeté, là incapable d’imposer son assise ? Constitué, nous suivons Hobbes, pour accroître la sécurité de ceux qui se sont réunis par le truchement d’un contrat social, l’État est devenu capable de bien plus de dommages, en un rien de temps, que tous ceux que l’état de nature aurait normalement fait endurer à un individu isolé. Le calcul coût opportunité au

coeur du raisonnement hobbesien en souffre. La forme du Léviathan est interrogée. Sa suprématie contestée Comment réagir. L’évidence. L’intuition. Million de morts ? Napoléon à Saint Hélène. Dizaines de millions de morts ? Tentative avortée de juger Guillaume II. Le malaise s’accroît. Génocides ? Interrogations. Doutes. Puis Nuremberg et Tokyo, auxquels se soustraient miraculeusement les souverains. Multiplication des génocides ? TPIY et TPIR : il n’y a plus le choix. Kadhafi. Saddam Hussein. Milosevic. On ne s’attaquait plus ainsi, ouvertement, aux chefs depuis le bas moyen-âge. Mais

quelque chose a changé. Fondamentalement. Le retour de la morale, et donc de la notion de barbarie ? Non. Des peuples. L’emprise du chef vacille. L’existence du chef est contestée. La souveraineté devient une lutte. Or l’État ne peut survivre qu’en tant que monopole. Laissez un vide, et le voilà peuplé. De pirates hier. De terroristes hier. D’ennemis de l’État. De barbares.

Réponse ? La violence jusqu’à la dissolution. Damas. Ou L’auto-régulation. Avant tout, comme ses sujets, le souverain a une priorité : sa préservation. Pour cela, traditionnellement, westphaliennement, la mise à mort – ou en prison ! – l’atteinte corporelle – de ceux qui le mettent en danger. Les contestataires en interne, les souverains menaçants en externe. Ce droit de punir au coeur de la théorie Hobbesienne, que le chef a acquis de façon si originale : le contrat social n’est qu’une assemblée de personnes qui renoncent mutuellement à leur droit naturel à faire violence pour se préserver. Or le

Léviathan n’est pas partie au contrat social – il est institué par lui. Le contrat se fait entre individus, et non entre les individus et le futur souverain. Dès lors ce dernier n’a pas renoncé à son droit naturel. Au droit de violence. Et est le seul à en disposer. Contre l’ensemble de la population. Voilà en quoi il est Léviathan. Voilà l’origine du droit pénal, de l’immunité des chefs d’État comme des grâces qu’ils sont les seuls à pouvoir attribuer. Le conatus a ses vertus. A trop faire usage de son pouvoir, ou de manière trop arbitraire, le Léviathan rompt le contrat social – puisqu’il atteint à la raison même de sa formation – l’accroissement des possibilités de perséverer dans son être pour les contractants. Cardinal selon Hobbes. Ainsi faisant, il choiera, et la société tout entière se dissoudra. La toute puissance n’est que théorique. D’où la nécessité, même si son droit est naturellement infini, de faire usage de la violence avec parcimonie. Tout excès amènera à sa perte. L’hypertrophie sécuritaire tunisienne fait chuter son souverain le premier. Car elle n’apparaît qu’au service du Premier. Mais comment mesurer l’excès ? Le peuple est capricieux. Il peut s’armer de fantaisie. Et décapiter celui qui aurait du être adulé. L’État servira le souverain à cette fin. Limitation progressive de l’arbitraire, ou plutôt institutionalisation de l’arbitraire afin de le rendre acceptable. Passions d’un homme progressivement étouffées dans une multiplicité de textes, de précédents, de rationnalité administrative et politique. Le Roi n’incarne plus la France, il est Roi des Français. La souveraineté n’est plus incarnée en lui. Sa disparition n’entrainera pas la disparition de la nation. Sa tête peut être coupée. L’État s’autonomise. Le chef comme bouclier. La constitution comme pérénisation. La reine d’Angleterre n’est plus que parade et domaines. Mais elle est encore parade et domaines. Et a gardé sa tête. Mais cela ne suffit pas. Il n’y a pas de droit de résistance collectif dans la théorie hobbesienne. Il n’y a pas de droit de résistance tout court chez Kant. Faites vos jeux. La seule désobeissance tolérable, pour Hobbes, intervient lorsque le souverain met en jeu la vie d’un de ses sujets. Alors le contrat qu’il a établi avec le reste de la société ne peut que se dissoudre – immédiatement – puisque son objet est anihilé. Mais vous devenez alors un barbare. Et replongé dans l’État de nature, tous auront le droit de vie et de mort sur vous. La Cour pénale internationale n’est qu’une réactualisation du contrat social hobbesien à l’échelle globale. Sa translation à l’échelle des représentants des souverains – c’est ainsi que Hobbes nomme le Chef. Elle vise à sortir de l’anarchie interétatique – inter-cheffique ? -. Comment ? Le droit de punir, bien entendu. Un accord pour réguler son utilisation – fixer des conditions – le limiter – entre chefs. Créer un droit de résistance collectif, en négatif. Et préserver– collectivement – le sort des chefs. De la souveraineté. La CPI ne peut condamner que deux types : le chef et le rebelle. Celui qui incarne l’autorité. Et celui qui la conteste. Les deux seuls à ne pas être partie au contrat social. A n’avoir aucune obligation préalable vis-à-vis aux populations. Aucune limite a leur droit de violence. Elle vise à combler les deux vides laissés par Hobbes. Elle est purement

hobbesienne. Un seul objectif : préserver le souverain qui respecte le contrat

social. De lui-même. Du rebelle qui ne sera plus légitime –puisque la seule justification à la dissolution du contrat social, à la déposition du chef, résulte dans son excès d’utilisation de la force. Privé de cet argument – s’il avait agit ainsi, la CPI se serait saisie ! – le rebelle ne peut plus être légitime. Dépolitisation du monde. Judiciarisation du politique. Si le souverain commet des excès contre son peuple – excès dont son peuple ne peut se protéger, n’ayant pas de droit à le faire – le peuple rebelle ne peut intervenir. C’est à la Cour d’agir. De lui retirer sa fonction représentative. Plus d’immunité. Le double du corps du roi est maintenu. Substitution de l’enveloppe charnelle. La boucle est bouclée. Le représentant n’est plus chef. Il n’est plus qu’homme. Il devrait donc être barbare, suivant la théorie hobbesienne. La CPI le rattrape par le col, par ce col qui est l’humanité – cette

supra communauté imaginaire – pour le juger, et donc pour le réintégrer. Son corps sera laissé intact. Et l’opportunité lui sera laissée, au final de sa peine, de réintegrer sa société. Le contrat social, qui n’aura pas été dissous. Pas de rupture, pas de mort. La vie du souverain est préservée – la sécurité des populations aussi – la forme Étatique préservée. Disculpée. Kadhafi refuse de jouer le jeu. Gbagbo accepte. Kadhafi le paye de sa vie. Gbagbo redevient homme. Le contrat social global a accompli sa mission : protéger la sécurité de ses contractants. Même s’il faut pour cela limiter leur droit. Le

droit de violence. Comme le premier contrat. Au nom des chefs, un nouveau cosmopolitisme est né.

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